À la découverte du BSCM, la langue des Balkans

L’histoire des langues des Balkans est intimement liée à celle de ses peuples et de ses religions. Après des années de guerres d’indépendance, la péninsule s’ouvre peu à peu au reste du monde. Le moment est venu d’en explorer ensemble les spécificités linguistiques !
L’histoire des langues des Balkans est intimement liée à l’histoire de ses peuples. Partons à la découverte du BSCM, sa langue unique… ou presque.

Quels sont les pays des Balkans ? Voilà une question qui revient fréquemment quand on évoque cette partie de l’Europe. Et pour cause : il n’existe pas de définition unique des Balkans. Historiquement, on délimitait la région par le Danube au nord, la mer Adriatique à l’ouest, la mer Égée au sud et la mer Noire à l’est.

Cette définition a évolué avec le temps. Au croisement de l’Europe centrale, de l’est, du sud et même de l’Asie, les Balkans sont bercés d’influences diverses. Pour notre périple linguistique, nous retiendrons les pays compris en totalité dans la péninsule, à savoir (par ordre alphabétique) : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Grèce, la Macédoine du Nord et le Monténégro. Ajoutons la Croatie, la Serbie et le Kosovo (dont l’indépendance est reconnue par une centaine d’États) parce qu’ils témoignent de la complexité linguistique et ethnique de la région.

Ces neuf pays comptent 40 millions d’habitants dont un tiers parlent le grec, une langue indo-européenne isolée. Cette langue singulière d’Europe méritant une exploration à part, nous ne l’évoquerons pas ici.

Nous nous intéresserons aux trois autres langues des Balkans :

– le BSCM, dont nous percerons les secrets des initiales ;

– le diasystème slave du sud-est, moins effrayant que le laisse entendre son nom ;

– l’albanais, langue à l’appellation plus sobre mais qui ne manque pas d’originalité.

Nom de code : BSCM

En Bosnie-Herzégovine, on l’appelle bosnien. En Serbie, serbe, en Croatie, croate et au Monténégro, monténégrin. Pour la plupart des linguistes détachés de sentiment nationaliste, il s’agit pourtant de la même langue – un peu comme si les Belges disaient parler belge. Dans le cas du bosnien-serbe-croate-monténégrin, le nom officiel de la langue a fini par disparaître. Il ne reste plus que des noms nationaux.

Le bosnien-serbe-croate-macédonien, c’est le terme choisi par les linguistes pour ne froisser personne et ne favoriser aucun peuple. Ou pour faire plus simple : BSCM. Scientifiquement, on la désigne aussi sous le nom de « diasystème slave du centre-sud ». Le sujet reste sensible dans les Balkans, surtout depuis l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 1990.

Le BSCM est une langue slave (de la même famille que le russe, le polonais ou le bulgare) commune à quatre pays pour un total de 20 millions de locuteurs. Les Serbes (orthodoxes) utilisent l’alphabet cyrillique, mais les Croates (catholiques), les Bosniaques (musulmans) et de plus en plus les Monténégrins utilisent l’alphabet latin. Le nord et le sud de la Bosnie-Herzégovine utilisent également l’alphabet cyrillique, sur le territoire de la République serbe de Bosnie (Република Српска), à majorité serbe et orthodoxe.

En revanche, à l’oral, les différences sont moins perceptibles. Plus que des différences linguistiques, celles qui divisent les peuples de l’ex-Yougoslavie sont surtout d’ordre ethnique et religieux. C’est ainsi que les termes « bosnien » et « bosniaque » coexistent en Bosnie-Herzégovine pour désigner d’une part la nationalité du pays et sa langue et d’autre part, l’ethnie et la religion principale de l’État.

Bien sûr, il existe quelques différences entre chaque langue des Balkans qui compose le BSCM. Mais la plupart du temps, elles ne sont pas plus importantes que celles qui existent entre le français de France et le français de Belgique. On trouve ainsi quelques influences turques dans le vocabulaire de Bosnie-Herzégovine tandis que les influences russes sont plus importantes en Serbie et que quelques mots croates dérivent de l’italien.

Langues slaves du sud-est : d’étranges ressemblances

Le BSCM n’est pas le seul diasystème de la péninsule. Également très proches, le macédonien et le bulgare sont deux autres langues slaves qui utilisent le cyrillique. Elles forment le diasystème slave du sud-est. Le vocabulaire de ces deux langues des Balkans se ressemble suffisamment pour permettre aux deux pays de se comprendre sans difficulté.

Il existe cependant quelques différences qui permettent d’affirmer que le bulgare et le macédonien sont bien deux langues distinctes. Par exemple, le macédonien utilise souvent le son « e » pour remplacer le « ia » bulgare comme pour la négation, няма (niama) en bulgare et нема (nema) en macédonien. Il existe d’autres nuances de terminaisons et de lexique, mais les linguistes les considèrent comme trop légères pour pouvoir parler de deux langues séparées. Ainsi, couleur se dit цвят (tsviat) en bulgare et боја (boya) en macédonien, mais on retrouve le mot боя (boya) en bulgare dans le sens de teinture (pour les cheveux, par exemple). Par ailleurs, boja est aussi le mot serbe, bosniaque, croate et monténégrin pour couleur.

Si la reconnaissance des langues des Balkans est un sujet si sensible, c’est aussi parce que les langues slaves en général partagent un grand nombre de similitudes sur le plan lexical et grammatical. Des ressemblances plus visibles qu’au sein des langues romanes ou germaniques. En 1999, dans le contexte difficile de la post-Yougoslavie, Mark Hučko invente le slovio, sorte d’équivalent slave de l’espéranto, destiné à insister sur ce qui unit les langues slaves plutôt que ce qui les divise. Vingt ans plus tard, son succès reste limité tandis que le débat sur les spécificités des langues des Balkans est toujours vif. L’originalité de l’une d’entre elles ne fait cependant aucun doute !

Isolée au pays des aigles

La langue du « pays des Aigles » (la signification littérale de Shqipëria, le mot albanais pour Albanie) ne ressemble à aucune autre ! Après plusieurs siècles d’hésitation, les linguistes lui reconnaissent aujourd’hui un statut particulier malgré des influences grecques (dialecte éolien), latines, germaniques, turques et slaves. Elle est classée dans une branche isolée des langues indo-européennes et comprend six millions de locuteurs pour quatre dialectes. Les deux principaux sont le tosque, dominant dans le sud de l’Albanie, et le guègue, parlé au Kosovo.

Sous la domination ottomane, l’albanais utilisait l’alphabet arabe avant de passer au cyrillique. De nombreux alphabets spécifiques à l’albanais ont également été inventés avant d’être abandonnés, comme l’elbasan au XVIIIe siècle ou le todhri au XIXe siècle. Aujourd’hui, l’alphabet albanais est une variante de l’alphabet latin avec 37 lettres, les sons ç, ë, gj, sh ou encore rr formant des lettres indépendantes. Du côté de la grammaire, les mots albanais peuvent être du genre masculin, féminin ou plus rarement neutre.

Cependant, le neutre albanais diffère de la notion allemande ou russe (un troisième genre bien défini) puisqu’il désigne des mots masculins au singulier qui deviennent féminins au pluriel. Un peu comme les mots amour ou orgue en français. Comme les langues slaves, l’albanais est une langue à déclinaisons. Mais la réelle complexité de l’albanais est liée aux conjugaisons, avec huit temps différents. Et si vous n’admirez toujours pas l’originalité de cette langue, peut-être admiriez-vous son… mode admiratif !

En effet, certaines formes verbales servent à exprimer l’admiration, la surprise ou l’étonnement — avec une intention sérieuse ou ironique. Ainsi, si un·e Albanais·e vous dit « ti flet shqip » (tu parles albanais), cette personne utilise l’indicatif pour faire un simple constat. Mais si elle s’exclame « ti fliske shqip ! » (tu parles albanais !), elle vous exprime alors directement son admiration pour votre prouesse linguistique !

« Une langue est un dialecte avec une armée » disait, non sans humour, le linguiste Max Weinreich. Si les Balkans forment un ensemble culturel fascinant, c’est parce que la péninsule est depuis longtemps une terre de brassage ethnique. Finalement, les minorités linguistiques sont peut-être encore plus subtiles que celles qui s’imposent au premier regard, comme le montrent les communautés turcophones et les Roms (qui parlent romani) de la région.

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